Être mère

Un cigalou sur un figuier (extrait du livre : femme à un détail près)

« Dans l’amour érotique, deux êtres séparés en viennent à ne plus faire qu’un. Dans l’amour maternel, deux êtres qui ne faisaient qu’un se retrouvent séparés»

Erich Fromm

Nous avons souvent parlé de la maternité. Tu dis ne jamais avoir désiré un enfant. Moi, je n’aurais jamais eu la force de renoncé à l’appel sauvage de mon ventre.

J’ai toujours su que je serais peintre et mère.

J’ai bercé mes frères, mes cousins, tout ce qui portait couches et buvait au biberon atterrissait dans mes bras de fillette.

J’étais touchée, je suis encore infiniment émue par la tendresse animale des nourrissons. L’abandon. La fragilité.

Je n’ai jamais aimé les poupées.

Elles me ramènent à mon enfance que j’ai refusée de toutes mes forces.

Puis, j’ai grandi. Mon ventre est devenu une bête indomptable que la raison a ignorée.

Il était :

L’artiste originel.

Le créateur sublime.

La matrice divine d’humanité.

‘’Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants’’ drôle de mirage à l’eau de rose pour jeunes femmes ignorantes.

Les enfants séparent plus qu’ils rapprochent.

Durant plus de cinquante mois, quatre années pleines, j’ai modelé, sculpté, peint.

Six enfants

Stéphanie, Renaud, Olivier, Emmanuel, Sébastien, Léa

Le quatrième bébé n’est pas né.

Un mirage ?

Et pourtant,

Je n’ai pas rêvé mes robes trop petites.

Je n’ai pas rêvé les images échographiques inquiétantes, les coups de pieds et les ondulations désordonnées de mon ventre tendu comme un tambour.

Je n’ai pas rêvé les douleurs d’accouchement, la morphine qui me faisait dérailler.

Je n’ai pas rêvé l’infirmière qui dansant d’un pied sur l’autre m’a demandé ce qu’elle devait faire du petit corps.

Je n’ai pas rêvé l’absence de compassion.

Le silence.

Horrible silence !

Personne n’a voulu de l’avorton imparfait.

Personne !

Alors, je le garde tout entier.

Je suis à la fois son père et sa mère, sa maison et son cercueil.

Son éternité et la mienne.

Je le berce, bien au chaud dans ma mémoire ; l’empreinte de son petit corps est tatouée sur le mien depuis vingt ans. Notre éternité !

Je suis deux.

Alors,

Combien ai-je d’enfants ?

Les chiffres sont trompeurs.

Ils mentent, je ne leur fait pas confiance.

Je ne sais pas compter.

Je ne veux pas mentir.

Combien ai-je d’enfants ?

Mon pauvre cœur est une cabane dévastée, perdue dans un bois sans chemin. Il bat, le fou au rythme de rires lointains et des ‘’mamans’’, qui se superposent impétueux, joyeux, violents.

Ces ‘’mamans’’ jamais ne désarment.

Je les entends.

Je suis fatiguée.

Je suis vulnérable.

Le cœur s’emballe. Il va trop vite, bat à vide.

Je me réveille. Je suis vieille. Je suis seule.

La cabane entend la mer, au loin.

Amoureuse fidèle elle attend, prisonnière de son désert maternel aux barreaux d’arbres.

Mes enfants grandissent sans moi.

Ils sont loin.

Leurs yeux ont pris la teinte de ceux de leurs pères.

La mort d’Emmanuel s’est mélangée à leur absence.

Comme j’envie l’insouciante liberté de la femme qui n’as pas donné la vie !

En les mettant au monde, je m’étais fait la promesse de ne pas abuser de mon pouvoir de mère. Je n’ai pas voulu être la méditerranéenne, cette femme archétypale qui me hante au plus profond de mes racines.

Alors, je les ai regardés s’éloigner, les yeux secs et les entrailles en lambeaux.

Ils ont disparus.

Mes mains ne se sont pas tordues.

Je ne les reconnais plus.

Faut-il dire à la jeune accouchée que sa promesse de bonheur s’en ira sans se retourner?

Faut-il lui dire que son tout petit devenu boutonneux la jugera sans pitié?

Combien faut-il de temps et de blessures pour aimer sa mère ?

J’attends.

J’essaie de quitter l’espoir, cette seconde peau qui repousse le bonheur à demain.

Demain, l’incertain.

Demain, la mort.

Le vieux prêtre missionnaire avait raison,

Il disait que le ‘’bien-être des époux’’ devait être la priorité d’un couple.

Il disait que les enfants ne sont que des matelots de passage.

Mes couples étaient des rafiots. Ils se sont abîmés par deux fois dans les mêmes tempêtes.

Mes fils.

Je vous ai ‘’lâché’’ la main plus vite que celle de vos sœurs. Je savais le risque qui guette les hommes de notre tribu de rester attachés aux jupes de leur mère.

Il n’est pas rare, le vieux garçon de 60 ans qui comme ‘’un cigalou’’ sur un figuier, au nom du patriarcat revendique le droit au parasitage familial à vie.

Les peuples autour de la méditerranée valorisent la fonction maternelle de manière monstrueuse.

Les jeune-filles n’ont le choix restreint, d’être :

Femme-vierge, femme-mère, femme-pute, femme-sorcière.

Les deux premières possibilités se cumulent aisément,

Les deux dernières doivent être évitées à tout prix, sinon elles se jumellent d’office.

Les hommes de chez nous ont la certitude d’être des Dieux en ce qui concerne les jeux de l’amour et autres droits.

Ils s’amusent comme des enfants capricieux avec le cœur et le corps des femmes.

Ils les cassent comme des poupées quand elles s’en vont où ne font plus leur bonheur.

Leur loyauté est offerte à une seule la mère si elle s’est conformée dans le sacrifice absurde de sa vie, à la tradition patriarcale.

Cette femme honorable à de son admirable soumission, servi d’un amour inconditionnel la stupide loi des pères et des fils.

Je ne suis pas arrivée à me soumettre au sacrifice.

Méditerranée !

Tu as les contours d’une paire de fesses et le ventre rond d’une petite mer immature, ceinte de désespoir.

Fut un temps, je paradais fière et belle bien à l’abri de mon respectable statu.

Oh ! Je n’étais pas une sainte bien sûr, mes précédents divorces m’avaient disqualifiée pour le rôle.

Il y a cinq ans à bout de souffle et pour la seconde fois, j’ai refusé les abus du père de mes enfants.

Au nom de la tradition je suis partie nue, menacée, insultée.

J’erre depuis sur les chemins de la mauvaise réputation.

Je donne la main à celles qu’on lynche, rase, à toutes les folles qu’on retrouve mortes d’épuisement où de chagrin dans les ruisseaux taris de bienveillance.

Qu’ai-je fait en ton nom Liberté ?

Était-ce vraiment de la Liberté de consentir, sous la menace, la violence et le retrait d’affection, à renoncer aux droits les plus élémentaires accordés aux femmes, en espérant le retour de ceux qui leurs sont les plus chers, leurs enfants ?

A-t-on le droit aujourd’hui, de divorcer d’un homme sans perdre sa famille, ses amis, sa maison, son nom d’artiste, ses œuvres, ses affaires personnelles, ses papiers, ses photos ?

Je n’ai pas eu ce droit.

Il n’y a pas un Tribunal au monde capable de venir à bout d’un clan uni dans la tradition contre une seule personne.

En tout cas, je ne suis pas arrivée à faire appliquer la loi.

Je me souviens.

Mon fils Sébastien avait cinq ans.

Il m’a dit en rentrant de l’école que j’étais la seule maman artiste des enfants de sa classe. Cette information était impensable pour mon petit garçon qui venait de comprendre que la fonction d’artiste était dissociée de celle de maman et de manière plus générale de la féminité.

Le métier de mère n’existe pas.

Le métier d’artiste n’existe pas.

Lorsque les deux se combinent cela devient une aberration sociale et économique pour toute personne un tant soit peu raisonnable.

Je me fiche de l’argent.

Je ne sais pas compter.

Je suis en marge de la société.

J’ai un pied dedans et l’autre ailleurs.

Ce deuxième pied me fait peur.

Il est imprévisible, insouciant, capricieux, fantasque.

Mes deux filles et mes trois fils ne s’aventureront pas sur les chemins accidentés de la poésie.

Ils sont sourds aux chants du poète.

La rime ne les avalera pas.

Ils ne comprendront peut-être jamais le feu de ma passion.

Je n’ai pas transmis le pied fou.

Je suis soulagée.

Ils sont adaptés.

Picasso disait que jamais une femme ne pourrait peindre comme un homme. Il avait raison, les femmes sont des hommes qui font des enfants. Elles peignent ce qu’elles sont.

« Souviens-toi d’où tu viens »
Huile sur toile 36X30″,
91cm X 76cm
Année 2017
1 650 $

Un jour sur deux

Un jour sur deux, huile sur toile, 77x77cm

Il montre le tableau du doigt en détournant les yeux.

– Votre tableau n’est pas vendable !

– Je sais. Si, je peignais que ce qui se vend, je serais riche. À croire, que j‘ai des difficultés avec la notion de richesse.

– Mais, pourquoi la corrida ? Le taureau, un si bel animal, sans défense. Comment peut-on de nos jours encourager un tel spectacle ? Je ne comprends pas… Il y a des gens qui paient pour aller voir ce truc. C’est dégueulasse !

– Je peins ce que je connais. Là commence et finit, ce que j’appelle, ma conscience d’artiste. La corrida ! je connais. L’été, il y en a dans presque tous les villages de ma région. Le taureau de combat, n’est pas un animal sans défense. Il est dangereux, imprévisible, sauvage… croyez-moi.

– Oui, mais là… votre taureau est une femme ?

– Il ne faudrait arrêter de croire que les femmes sont sans défense. Quand une femme se fait ‚‘‘torgnioler‘‘, elle est aussi faible qu’un taureau de combat dans l‘arène, les cornes en moins. Faut arrêter de croire que les femmes battues se laissent faire. Pire, qu‘elles aiment ça.

– Vous ne pouvez pas peindre une chose pareille. C’est pas la réalité.

– C’est EXACTEMENT la réalité !

– Peux pas regarder…

– Est-ce la femme à la place du taureau qui vous dérange ?

– Je n’ai jamais vu de corrida. Je n’en verrai jamais.

– Et la mort vous l’avez déjà vu ? Le sang ?

– Oui ! Mais pas comme ça.

– Je vais vous raconter : au début il y a la musique. Les gens prennent place dans les gradins. C’est la fête ! Les hommes sont séduisants. Les femmes coquettes derrières les éventails colorés, minaudent. Elles sont charmantes. Puis, comme une danse rythmée par la fanfare, la femme-animale et  l’homme-dieu jouent. L’un secoue une cape rose et jaune et l’autre passe dessous. Action, réaction, le premier propose, l’autre se soumet. Puis on s’aperçoit que le taureau à l’air de souffrir. Un taureau ça ne parle pas : ça râle ; ça beugle ; ça mugit. Il secoue son corps. il est maladroit. Nerveux, Il essaie en vain, de se débarrasser des drôles de flèches (les banderilles) qu’on lui enfoncé dans le milieu du dos. À chaque fois, la foule joyeuse crie : OLÉ ! Il saigne mais le sang mélangé au noir de sa fourrure est invisible, jusqu’à ce que des perles rouges gouttent sur le sable. Rouge et jaune le contraste est indiscutable. La bête ne sait toujours pas qu’elle va mourir. Musique maestro ! 

Le torero a changé sa cape de parade rose pour une rouge, beaucoup plus… sérieuse. Inquiétante.Derrière la muleta (le nom de la cape rouge en question),  il cache son arme.

Trompette une fois,  cette fois.

L’arène arrête de respirer. Silence. Respect devant la mort.

Quelques passes pour distraire l’animal. L’homme se concentre. D’un geste martial, qui vient du fond des temps. Il lève l’épée lentement au niveau de sa bouche. Puis au ralenti son bras droit se tend à la verticale, lui donnant une allonge irréelle. Le corp souple, en appui, sur la jambe gauche, le genou plié, l‘homme prend l’impulsion nécessaire au coup. Il bondit. La lame entre au centre exact des omoplates. Transperce le coeur.  Autant vous dire que c’est pas simple… c‘est l‘estocade ! Enfant, je me cachais les yeux pour ne pas voir. Si le taureau n’est pas mort sur le coup, le torero recommence, recommence encore sous la bronca. Déshonneur pour un torero ! Les spectateurs détestent ceux qui manquent leur coup… un bon torero doit tuer vite et bien. En une fois, sans se reprendre.

– C‘est atroce !

– Ça l‘est ! Mais je vais vous dire ce que j’ai raconté à mon mari québécois (on le raconte aussi aux enfants) la première fois qu’il a assisté à une corrida : c’est très, très rare, mais si le taureau est particulièrement valeureux, il est gracié. Si (encore un si je vous accorde qu’il y a trop de conditionnels), donc si, le taureau arrive à survivre à ses blessures, il aura une vie de rêve. Faut dire que quelquefois, c’est le torero qui meurt.

– Mais quelle horreur ! Pourquoi mourir dans la force de l’âge ?

– Je pense exactement comme vous. Personne ne devrait jamais mourir pour rien.

Un jour sur deux, une femme meurt sous les coups de son compagnon et ça me bouleverse.


Série de nus féminins

Année 2012, pour être précise octobre 2012. Je peins très rapidement ces cinq nus dans mon atelier de la rue Ontario à Montréal. La vie intime d’une femme en cinq saisons : l’amitié, la séduction, l’amour physique, la maternité, la tendresse que je compare aux cinq saisons de l’Amérique du Nord.

Une année, mon existence. Ici pour moi, le temps est interminable. La France me manque.

Quelques fois par semaine, je monte la rue Panet jusqu’au parc Lafontaine. Ce jour là, l’air vif, presque froid a transformé le bleu du ciel. Il est transparent, léger, insaisissable. Impossible à peindre autrement qu’à l’aquarelle ; inversement, les feuillages se sont métamorphosés en quelques heures en rouge, orange, jaune. Des pigments purs, sortis du tube sans aucune intervention humaine.

La force des couleurs de la végétation et la légèreté du bleu du ciel se confrontent. Beauté irréelle.

Je m’inspire.

Les trois amies
acrylique sur toile
76x 60 cm 30X24 »
année 2012
Vendu
Maguelonne, acrylique sur toile
76x 60 cm 30X24 »
année 2012
Vendu

la fiancée du Polichinelle, acrylique sur toile
76x 60 cm 30X24 »
année 2012
Vendu
La mère, acrylique sur toile
76x 60 cm 30X24 »
année 2012
Vendu
Basquiat mon amour, acrylique sur toile
76x 60 cm 30X24 »
année 2012
Vendu

Les années sombres 2012-2014

Les premières années d’immigration ont été atroces. Il n’y a rien de moins naturel que de quitter sa terre. Lorsque je regarde les photos des œuvres de cette époque, je suis touchée par ma douleur, le témoignage lugubre de mon mal-être. Je peignais en pleurant, mes enfants , mes parents qui vieilliraient sans moi, mes amis, le soleil, la mer.

Loulou

Loulou
Acrylique sur toile 102X143 cm, 60X40‘‘,
Année 2012. VENDU.


Nous avions mes amis artistes Michel T. Desroches, Gilles Vallée et moi (je signais RHEIN à l’époque) organisé une exposition pluridisciplinaire avec le désir de sensibiliser le public à la maladie d‘Alzheimer.
Notre exposition a été vue en 2013 au CHUM, hôpital Notre-Dame et dans le service Stop Alzheimer de l‘hôpital Douglas.

L‘histoire :

Loulou était vieux, mais pas tant que ça. Avant d‘être malade, il aimait la mer, les voitures anciennes, sa femme, ses copains et ses petits enfants. Du jour au lendemain, il a glissé à toute vitesse dans une réalité qui n‘était pas la notre. Il disait des trucs bizarres, entendait des voix, était certain que des voleurs voulaient entrer par la porte-fenêtre du premier étage, celle qui donnait sur la piscine. Des bêtes dégoutantes grimpaient sur les murs de la maison, se faufilaient sous les meubles.
Cet après-midi dans le salon, la mer était mauvaise, assis dans le gros fauteuil anglais, Loulou était inquiet, ses longues mains agrippaient avec force les accoudoires rembourés. Il essayait de tout son corps de stabiliser une embarcation secouée par une mer déchainée. Le temps avait tourné trop rapidement. Il fallait rentrer au port sans attendre. Tous les bons marins savent que les tempêtes en méditerranée sont imprévisibles. Dangereuses. Loulou était de ceux-là. Un vrai bon marin !
Après l‘exposition, j‘ai animé tous les lundis après-midi jusqu’à il y a deux mois, des ateliers de peinture dans le service de gériatrie du CHUM. Durant sept ans, j’ai apporté mes couleurs à l’hôpital, ces patients m‘ont rendus leurs souvenirs, une humanité dégagée de conventions sociales. Ils m‘ont appris qu‘à l‘infinie fragilité de notre condition la seule réponse possible était l‘amour. Un amour délivré de la raison.
L‘expérience a été douloureuse et belle à la fois. Drôle souvent. Merveilleuse.

Hôpital Notre-Dame
vidéo Alliah productions