Je ne parlais pas beaucoup, j’avais du mal à dire l’émotion, la beauté, la douleur. J’avais des couleurs pour ça. J’avais un langage parallèle. Je discutais intarissablement avec le ciel, les nuages, les fleurs, les arbres puis je relatais l’émerveillement par des dessins colorés. J’étais une sauvageonne, j’ai eu la chance de grandir à la campagne.
On ne dit pas assez que les enfants doivent être laissés à leurs rêves. Pourquoi essayer de tout comprendre ?
Je me souviens de ma première expérience de peinture à l’huile. Mon père m’avait autorisé à monter dans son atelier, une mansarde dans une aile reculée de notre maison bourgeoise. L’atelier était l’ancienne chambre de bonne. Les enfants n’avaient pas le droit d’y accéder car l’escalier en colimaçon était dangereux, il ressemblait plus à une échelle qu’à un escalier d’ailleurs. Pour moi, c’était l’ascension au paradis.
Je me suis donc retrouvée dans la pièce magique, celle où la création opérait.
Mon dieu. Que ça sentait bon ! Un mélange de peinture, d’huile de lin et de térébenthine. Une odeur d’éternité, que j’aime toujours autant.
Mon père m’avait donné avec un sérieux infini, le plus beau des cadeaux, une toute petite toile et l’autorisation de me servir après quelques recommandations, de la précieuse peinture.
Et j’ai peint, naturellement, sans réfléchir. C’était la nuit immense et noire, emprisonnant « une maison lumière » à la manière d’une lune ou d’une étoile perdue. Ma façon de dire notre maison au milieu d’arbres centenaires, eux- mêmes entourés de grands murs de pierres, le tout perdu dans la campagne. Une façon de dire l’inconnu au-delà des terres à perte de vue.
Ma première toile ne fut pas accueillie comme un chef-d’œuvre, mon père était furieux, j’avais vidé son tube de noir.