
J’ai beaucoup de pudeur à me raconter, mais ce matin j’ai envie de partager avec vous toute ma reconnaissance. Je suis au Québec depuis treize ans, exactement treize ans, le vingt-six février. Je suis arrivée avec trois de mes cinq enfants et leur père. Je peux vous dire qu’à l’époque je n’étais pas enthousiaste. J’avais suivi mon mari comme on mène une vache à l’abattoir. Les premières années furent pénibles. Au bout de quatre ans, j’ai demandé le divorce. Ce fut terrible ! Pour en finir, sous la contrainte et la menace j’ai été obligée de renoncer au patrimoine familial et au reste. Je n’avais pas d’autres choix que de recommencer, bâtir une vie sur un sol qui m’était encore étranger. L’immigration rend les femmes plus vulnérables que dans leur pays d’origine. Pour ces femmes, rien ne s’applique ni la loi d’ailleurs, ni celle d’ici, c’est un autre sujet. À cette époque, de nombreux amis, m’ont tourné le dos, ils avaient cru toutes les horreurs racontées par mon ex. Ces trahisons, je les ai vécues comme des deuils, des violences supplémentaires. J’étais isolée. Blessée. J’ai entrepris de commencer une thérapie. Je voulais arrêter de souffrir, trouver une explication à la violence qui me collait à la peau depuis l’enfance. Savoir ce qui ne marchait pas chez moi. La thérapie c’est dur ! ça remue ! Les vieilles affaires oubliées remontent et ça fait mal avant de faire du bien.
En 2014, j’ai eu de la chance ! La vie a mis Bruno sur mon chemin, j’étais à ramasser à la petite cuillère. Je ne savais plus à quoi me raccrocher, je serais bien ingrate si j’oubliais le soutien de mes deux magnifiques amies Aline et Anne-Évangéline, ces deux-là, je les ai emmerdées plus que de raison. Bruno et moi on s’est reconnu. Au premier regard, nous avions tout compris de l’autre : nos milieux d’origine, nos passés débiles, nos guerres, nos aspirations. Lui surtout a compris mes blessures, mon courage aussi. Je suis courageuse parce qu’à chaque fois j’ai eu peur. La vérité est que cette peur paralysante et l’idée de mort m’ont accompagnée toute mon existence. Vous savez, on fait toute une histoire de la mort, moi je l’ai côtoyée, regardée de très près, dans les moments difficiles elle a toujours été là, une obsession pour me rappeler que tant que j’étais vivante, je devais vivre. Je sais, qu’elle passera me prendre au bon moment. C’est pas la mort qui me fait peur, ce qui me fait peur c’est la vie, la bêtise, la violence.
En arrivant au Québec, l’idée que je me faisais du couple idéal, me semblait inatteignable, j’étais prête à renoncer à cet amour fantasmé, fait de douceur, de partage, de transparence, de joies simples, exactement, le contraire de ce que j’avais vécu dans le passé. De ce que je vivais au présent. À chaque fois, se reproduisait le même scénario, après quelques années de chaos, je partais le cœur en lambeaux sans demander mon reste. Je quittais des hommes furieux, blessés, incapable de comprendre, le pourquoi de mon irrévocable décision. Incapable d’entendre mes aspirations de relation idéale. Des lubies selon eux. Parce que, oui réussir sa vie de couple c’est exigeant. Il faut être drôlement discipliné. Le feu ça s’entretient, faut pas le laisser s’éteindre. Bientôt huit ans que Bruno et moi vivons cet amour parfait. Je me suis tellement battue. C’est un miracle.
Treize années que je suis au Québec. J’aime ce chiffre. Mon ex mari avait raison, il fallait que je parte. Un rayon de soleil cogne à la fenêtre de l’atelier, dehors il fait moins je ne sais combien ? Je me souviens de Nice, là-bas les mimosas doivent être en fleurs et les enfants en T-shirt ; des flocons légers dansent derrière la vitre, il y a vingt centimètres de neige au sol. Il fait si bon chez nous, ça sent le café et les mandarines. Je suis en paix, complètement à ma place. Heureuse. Mon pays c’est ici.
Merci !