Pourquoi, l’aquarelle ?
Parce que ça me rassure.
Peut-être un truc de l’enfance ?

Premier souvenir : j’étais élève à l’école primaire. J’excellais dans deux matières : le sport et l’art. Les autres disciplines m’ennuyaient prodigieusement. J’étais incapable de me tenir tranquille, mes jambes avaient la bougeotte, ma tête partait dans des rêveries sans fin. Elle s’échappait par la fenêtre avec les misérables pigeons gris. Je les trouvais hideux, mais distrayants. Il y avait le borgne, l’unijambiste, le maigre, le déplumé. Ils s’ agglutinaient sur les gouttières, les rebords de fenêtres toujours fermées. À croire qu’ils passaient leur vie à chier, les fientes s’accumulaient en tas épais, juste à la hauteur des mes yeux. Je passais mes journées à attendre, résignée, la cloche qui mettrait fin à mon calvaire. À l’école, je détestais tout, la cour de récréation trop petite pour courir, la salle de classe aux murs jaunes crasseux, troués de punaises, odeur âcre, mélange de craie et de transpiration. À côté du tableau noir, une grande carte de France avec ses départements à n’en plus finir, ses massifs, ses fleuves. Les panneaux de conjugaison, de calcul et autres tables de multiplication impossible à mémoriser.
Trop peu souvent, nous faisions de la peinture, toujours l’après-midi pendant que l’institutrice corrigeait nos exercices sur le cahiers du jour. Mon attirail assez rudimentaire, consistait en une boite en plastique blanc contenant six gros ronds de gouache, couleurs primaires, du blanc, du noir, du marron. Dans la boite, il y avait aussi deux pinceaux de mauvaise qualité. Des feuilles Canson de base, rangées dans leur habituelle enveloppe jaune.
Nous étions installés par deux, sur des bancs d’écolier en bois ; les filles avec les filles, les garçons avec les garçons. Je ne me souviens ni du prénom ni du visage de ma voisine, seulement de son matériel de peinture. Elle avait de la gouache en tubes qui lui permettaient de contrôler ses mélanges ce qui était impossible avec nos pastilles bon marché. Pour couronner le tout, elle avait un pinceau chinois. Le pinceau lorsqu’elle le plongeait dans la peinture retenait une grande quantité de pigment et d’eau que la fille appliquait avec style et dextérité. Les enfants de la classe s’étaient regroupés autour d’elle pour admirer le spectacle.
Ce jour-là, j’ai peint rageuse, des montagnes sur un ciel gris-colère. Peut-être pour m’encourager ? L’institutrice m’avait donné la meilleure note de la classe. L’orgueil était sauf, restait la convoitise. Aujourd’hui, j’ai toute une collection de pinceaux chinois!
L’aquarelle c’est peu de pigment et beaucoup d’eau.
Avant de vivre au Québec, la mer méditerranée m’accompagnait quotidiennement. Une présence apaisante, caresse à l’âme. Je me rends compte aujourd’hui du grand privilège d’avoir passé une partie de ma vie dans cet environnement magnifique.
La mer est une histoire de famille. Les pique-niques, rendez-vous sur la plage à l’heure du coucher du soleil.
De la première vague qui culbute, eau salée par le nez, étouffe, fait mal à la gorge, pique les yeux ; au grand saut, le cou bien tiré pour ne pas boire la tasse. Plonger, déterrer les tellines (petits coquillages), les manger crues, faire des châteaux, creuser le sable pour trouver l’eau. J’ai passé mon enfance dans l’eau.
Plus tard, les boites de nuit en plein air. Les merguez grillées coincées entre deux bouts de pain badigeonnés de moutarde de Dijon. La mer qui allège le poids des grossesses. Les bébés bercés sous un parasol. Les bébés offerts tendrement à la vague.
En immigrant à Montréal, les premières années ont été troublantes. J’ai dû ajuster mes repères chromatiques aux blancs et aux gris ; pour cela, j’ai fréquenté assidûment la piscine du Village, me suis sevrée progressivement du bleu-Méditerranée.
Deuxième confinement.
Le temps s’allonge dans l’atelier, prière, méditation, aquarelle. Je n’attends rien, ne demande rien. J’avance au jour le jour, fixe des programmes sur l’agenda. Le travail me protège. Dehors, il y a trop de bruit, trop de conseils, trop de contestations, trop de malheur, trop d’angoisse, trop de malades, trop de morts. Me taire, ne pas ajouter à la cacophonie du monde.
La musique classique réconcilie avec l’humain. Comment ne pas être envouté par Bach?
Je baigne le merveilleux papier provenant d’un ashram indien. Il m’en reste encore quelques feuilles. Saturé d’eau, il gondole, signe que je peux commencer à peindre. Je répartis l’eau accumulée en flaques, puis l’eau teintée de jaune en grosses taches, cette première couleur ensoleillera par effet de transparence toutes les autres.
Lâcher-prise total. Le monde peut s’écrouler. Foutez-moi la paix ! Je suis ailleurs.
Bach, de la couleur et de l’eau.
https://fabienne-roques.artmajeur.com/











Un post magnifique.
Vos œuvres, ce rapport avec Bach, l’aquarelle et le geste qui vient avec, la trame de vos souvenirs de France et de Méditerranée, le lâchez prise – foutez-moi la paix, oui. Enfin, cet ailleurs loin de tous mais au plus près de soi, d’une certaine façon puisqu’il est à la source de l’abandon – en sororité, merci tant!
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Foutez-moi la paix ! oui mais pas trop, merci pour votre commentaire, par ces temps la sororité fait du bien.
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J’adore ! Et j’adore que vous ne nous foutiez pas la paix !
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Merci ! C’est gentil.
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Les aquarelles sont absolument magnifiques. Et j’ai beaucoup apprécié le texte.
Merci, Fabienne.
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formidable ce texte et ces aquarelles merci !
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Merci, votre commentaire me touche.
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