Reprendre son nom de famille, pas si facile !
Au Québec depuis 1981 après un mariage, les femmes ont l’obligation de garder leur nom de naissance.
Il serait temps que la France s’en inspire car les femmes subissent un véritable préjudice identitaire et professionnel, quand elles doivent prendre ou abandonner un nom qui n’est pas le leur.

Le nom de mon père
Il tenait ma main dans la sienne. Il n’y avait pas de pression, simplement une petite main accrochée de toutes ses forces à un bloc.
Il parlait peu.
Sa parole, précieuse, était dispensée avec une infinie parcimonie passant le plus naturellement du monde du français à Occitan. Quand il racontait des histoires c’était le patois qui venait. Pour chaque situation, Il avait une phrase de bon sens terrien.
Tou ço que mangò torno
Lou qué coummando pagò
Sé te logos per faïre l’asé te cal faïre l’asé.
Mes premières paroles furent celles-ci.
La force de Gabriel était dans ses mains d’agriculteur et dans son nom Pierre Gabriel Roques. Comme ces fortifications, nombreuses qui parsèment les sommets des rochers du pays d’Oc et Cathare
Vignerons de père en fils il faisait saigner sa terre stérile du nectar sacré. Le vin boisson magique qui rend la jeunesse au plus mélancolie des vieillards. Élixir de jouvence, secret des hommes qui savent vivre.
Il était mon grand- père.
Qu’ils le veuillent ou non !
Qu’ils en aient conscience ou non , les hommes ressemblent à leur terre. Ils lui appartiennent. Gabriel avait dans ses mains la force de ses vignes assoiffées, tordues par la douleur du manque d’eau.
L’eau il la portait dans ses yeux comme tous les bleus des ciels de Provence et la transparence de la méditerranée.
C’est la coutume, Les femmes prennent le nom de leur mari, les fils le nom du père, Dieu le père.
Le 17 aôut 1996 je me suis mariée, abandonnant avec une extrême désinvolture mon nom de Roques pour celui de Rhein
Rhein le fleuve en allemand, Rhin l’immense, le plus grand d’Europe. De la Mer du Nord aux Alpes « le vater Rhein », le Rhin paternel comme le surnommait les germaniques prodigue ses richesses et ses ferments.
L’eau et la pierre, le nord et le sud réunis dans seul et même prénom de femme : Constance.
A Aigues Mortes longtemps premier port de France en Méditerranée, Saint Louis fit construire une tour qu’il nomma Constance. Prison des templiers d’abord puis prison de femmes.
A la révocation de l’édit de Nantes, des mesures répressives se sont abattues sur les protestants enfants des lignées cathares précédemment éliminées. Trois sœurs, Isabeau, jeanne et Marthe Roques famille hérétique opiniâtre furent emprisonnées en 1687 et déportées aux galères. Elles moururent noyées.
Quand j’étais enfant, mon oncle Jean Pierre, m’avait raconté l’histoire de cette Constance qui selon lui avait résisté jusqu’à l’âge de 100 ans aux intempéries, au manque d’eau et de nourriture exposée à tous les tourments des hommes et d’une nature difficile. Je n’ai rien retrouvée de l’histoire de cette femme qui avait meublé mon imaginaire d’enfant. L’avait-il confondu avec Marie Durand détenant le sombre record de longévité, 38 ans de détention dans la tour sans jamais abjurer sa foi. Elle grava dans la pierre du sol de sa cellule, un seul mot « RÉSISTER ».
En Provence on exagère tous un peu. Je lui pardonne.
Constance, L’eau à perte de vue d’un lac grand comme une mer, véritable delta intérieur en lui se jette le Rhin plus grandes voies navigable d’Europe, riche de ses terres fertiles, de ses châteaux, de ses forêts, de ses mythes.
Comment ne pas succomber à la Loreleï ?
Comment ne pas croire en la fée au chant magique quand on est racine, de terre sèche et rocailleuse ?
Je me suis laissée bercée par la douce comptine.
Je n’ai pas eu la prudence d’Ulysse.
J’ai oublié la main, les yeux, la terre de Gabriel subjuguée par la langueur d’un hymne qui n’était pas le mien. J’ai dormi 20 ans. Le Rhin m’avait portée, poupée endormie sur les rives du Saint Laurent, l’or est dedans plus fort encore, plus grand. Le réveil fut brutal.
Sur un autre continent, en terre d’Amérique la Loreleï s’est tu.
Je n’entends plus qu’ Isabeau, Jeanne et Marthe ces femmes, mères, sœurs, qui appellent depuis la nuit des temps nos racines oubliées.
Le Rhin ne m’engloutira pas.
Je donnerai au Saint Laurent, ma vérité d’un visage sans fard. Je suis racine, je suis pierre, je suis force d’une terre et de ceux qui la peuplent.
Partir révèle.
Je n’entends plus que le chant sublime d’Isabeau, Jeanne et Marthe.
Je n’abjurerai pas
Fabienne Roques